SARS-CoV-2 : L'ÉPREUVE DES VARIANTS
« Anglais », « sud-africain » ou « brésilien », qui sont-ils et que peuvent-ils ?
Auteur : Menahem Bregegere, Ph.D. Molecular Biology and Genetics
Contributeurs: Irene Fermont MD, MSc, Immuno-hematology
and Pharmacovigilance,
Ayalah Livneh, MD, MSc, Laboratory Medicine
Published Date : 31 January 2021
Update Date : 20 april 2021
Profil général de SARS-CoV-2
Le génome de SARS-CoV-2 est composé d'un brin d'ARN de 29 903 nucleotides. Sa moitié initiale code pour un long polypeptide, qui est clivé dans la cellule en 15 protéines "non structurelles" impliquées dans la multiplication du virus. Sa moitié terminale code pour 4 protéines structurelles : S ("spike"), E ("envelope"), M ("membrane"), N ("nucleocapsid"), et 8 protéines accessoires.
Au total, le génome de SARS-CoV-2 contient 14 séquences codantes ouvertes, qui dirigent la synthèse de 29 protéines (1). C'est un des plus gros virus à ARN connus.
Les mutations qui caractérisent les variants sont simplement des erreurs de la réplication du génome d'ARN. Les virus à ARN sont assez instables génétiquement : ils mutent à un taux moyen 100 fois plus élevé que les virus à ADN (2). Ils n'ont généralement pas de mécanisme de correction des erreurs, ce qui facilite la variation génétique. Cette souplesse évolutive peut être avantageuse pour les petits virus, mais elle devient un handicap quand la taille du génome augmente, et avec elle la probabilité de mutations à effets négatifs.
SARS-CoV-2 pallie cet inconvénient en produisant une exoribonucléase (ExoN) spécifiquement assignée à la correction de ses erreurs de réplication (3). Son taux de mutation est donc bas pour un virus à ARN, et les variants moins fréquents que chez d'autres virus comme ceux de la grippe et du SIDA.
Les études phylogénétiques montrent que les 29 protéines composant le SARS-CoV-2 mutent à des vitesses différentes : 27 d'entre elles montrent peu ou pas de variabilité génétique, alors que les protéines S et N, qui sont justement les cibles des agents immunitaires ou thérapeutiques, sont beaucoup plus variables (4).
L'évolution de SARS-CoV-2 depuis son apparition en 2019 a été retracée grâce à un séquençage systématique de génomes viraux récoltés dans toutes les parties du monde. Des lignées ont été définies, qui constituent les branches de l'arbre généalogique de SARS-CoV-2 (5).
Trois lignées sont dominantes actuellement : celles du "variant britannique" (B.1.1.7), du "variant sud-africain" (B.1.351), et du "variant brésilien" (P.1). Nous allons présenter brièvement ces trois variants, puis dresser une perspective d'ensemble de la multiplication des variants, des limites de la variabilité du virus, et des moyens dont nous disposons pour la mettre en échec.
Le variant B.1.1.7, dit « britannique »
Le variant britannique B.1.1.7 est apparu en septembre 2020. Il possède 17 mutations par rapport à la souche de Wuhan de janvier 2020. Trois déletions et sept substitutions d'acides aminés sont situées dans la protéine S, qui sert de “clé” au virus pour entrer dans la cellule (6). Deux d'entre elles, N501Y et P681H, affectent le domaine de liaison (RBD) qui se lie au récepteur ACE2 de la cellule qu'il infecte.
ACE2 est la “serrure” que le virus doit ouvrir pour traverser la membrane cellulaire. Ces deux mutations facilitent l'interaction entre la "clé" et la "serrure", et sont probablement responsables de l'augmentation de la virulence (7).
Plusieurs études ont montré une augmentation de la gravité des symptômes et de la mortalité causées par le variant B.1.1.7 (8-9).
Cette lignée a d'ores et déjà supplanté la lignée « ancestrale » de Wuhan dans plusieurs pays d'Europe, en Amérique et en Chine. En Israël, elle est responsable de 90% des cas depuis janvier 2021. Heureusement, les vaccins disponibles aujourd'hui (Pfizer, Moderna et AstraZeneca, Johnson & Johnson et de Novavax, conservent une capacité de neutralisation efficace contre cette lignée (10).
Le variant B.1.351, dit « sud-africain »
B.1.351 s'est répandu en Afrique du Sud en octobre 2020, portant cinq nouvelles mutations dans la
rotéine S, dont trois substitutions d'aminoacides dans le RBD : K417N, E484K et N501Y. Ensuite se sont
ajoutées trois substitutions et une délétion dans le domaine N-terminal. Comme pour B.1.1.7, ces
mutations semblent responsables de l'hypertransmissibilité de B.1.351, qui est de l'ordre de 50%, et donc
de son avantage sélectif (11).
In vitro,
Elles augmentent la résistance du virus aux anticorps monoclonaux (12), ainsi qu'aux sérums de patients exposés à la souche originelle de Wuhan (neutralisation réduite d'un facteur 13).
Les sérums des sujets vaccinés aussi ont une capacité réduite de neutraliser B.1.351.
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Avec les antisérums suscités par le vaccin Pfizer-BioNTech, la capacité de neutralisation du variant B.1.351 est 7,6 fois plus faible que celle de la souche de Wuhan,
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Avec le vaccin AstraZeneca, elle est 9 fois plus faible. Comme le vaccin AstraZeneca est déjà 3,6 fois moins actif que le vaccin Pfizer, son efficacité résiduelle sur le variant B.1.351 est très réduite (13).
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Données epidémiologiques,
De manière concordante, les données épidémiologiques disponibles montrent que la protection apportée par
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Le vaccin Novavax, qui est de 95.6% avec la souche de Wuhan, tombe à 85.6% avec B.1.1.7, et à 60% en Afrique du Sud où B.1.351 représente 92.6% des infections.
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Le vaccin monodose Janssen (Johnson & Johnson), qui protège à 72% contre la maladie modérée à grave, protège seulement à 57% en Afrique du Sud.
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Enfin, le vaccin AstraZeneca ne protège qu'à 10.6% contre les symptômes légers à modérés en cas d'infection par B.1.351 (13).
En-dehors de l'Afrique du Sud, la lignée B.1.351 est maintenant largement représentée en Amérique du Nord, en Europe et en Israël.
Le variant P.1, dit « brésilien »
Un autre variant, nommé P.1, a été caractérisé au Brésil en décembre 2020. Ce variant porte 17 substitutions d'aminoacides et trois délétions, parmi lesquelles trois substitutions dans le RBD (K417N, E848K et N501Y) et une délétion dans le gène orf1b (del11288-11296), sont communes avec le variant sud-africain B.1.351. Elles sont apparues indépendamment, ce qui indique une évolution convergente des deux variants (14). N501Y augmente la transmissibilité du virus, et E484K fait obstacle à sa neutralisation par les anticorps suscités par la souche de Wuhan. Les deux variants se sont imposés dans la sélection naturelle contre leurs concurrents, et ils se sont répandus dans des zones largement infectées par la souche Wuhan d'origine, suggérant qu'ils échappent au moins partiellement à l'immunité acquise lors d'une primo-infection (15).
In vitro,
Le RBD de P.1 est très semblable à celui de B.1.351, mais lorsqu'on analyse dans des pseudovirus (16) l'immunité suscitée par les vaccins contre la protéine S, le pseudo-P.1 se révèle moins résistant à la neutralisation que le pseudo-B.1.351.
-
Avec des antisérums sucités par le vaccin Pfizer, la neutralisation du pseudo-P.1 est réduite 6,7 fois par rapport au pseudo-Wuhan, ( elle est réduite 41 fois avec les antisérums),
-
avec des antisérums suscités par le vaccin Moderna, elle est réduite 4,5 fois (elle est reduite à 21 fois avec les antisérums).
La différence entre P.1 et B.1.351 suggère que des mutations extérieures au RBD impactent la neutralisation (6,17-18). Ces conclusions ont été récemment confirmées par une autre étude, réalisée directement sur des virus SARS-CoV-2, plutôt que des pseudovirus (19).
Au total, la sensibilité de P.1 à la neutralisation par les sérums de sujets vaccinés est du même ordre que celle du variant britanique B.1.1.7, et nettement supérieure à celle du variant sud-africain B.1.351.
Les nouvelles lignées émergentes et leurs dangers
Le virus continue d'évoluer dans le monde, avec un dynamisme particulier dans les régions à forte charge virale, où sa circulation est la plus active. Les variants émergents portent généralement des mutations de la protéine S qui augmentent leur transmissibilité, ce qui leur assure un avantage sélectif. C'est le cas de la mutation N501Y, présente dans les trois variants majoritaires et dans de nombreux autres, et de la mutation L452R, qu'on trouve dans le variant californien B.1.427/B.1.429 (20C) (20).
D'autres mutations atténuent la capacité neutralisante des anticorps, comme E484K qui est présente dans les variants sud-africain et brésilien, et qui apparaît indépendamment dans les lignées new-yorkaises B.1.526 (21) et B.1.1.220 (22), arizonienne B.1.243.1 (23), et africaine A.VOI.V2 (24), ce qui indique une évolution convergente. D'autres lignées suivent des stratégies évolutives différentes, comme la lignée ougandaise A.23.1, qui présente un ensemble de mutations original (25).
Un variant indien récemment rapporté, B.1.617, combine les mutations L452R de B.1.427 / B.1.429 et E484Q de B.1.351 et P.1 (43).
L'apparition de variants fait naturellement craindre que l'évolution du virus lui permette d'échapper à l'immunité naturelle et vaccinale, et en effet les mutations réduisent le pouvoir neutralisant des anticorps monoclonaux et des antisérums. Les données épidémiologiques au Brésil et en Afrique du Sud vont dans le même sens, montrant que les deuxièmes vagues d'épidémie de ces pays, qui ont coïncidé avec l'apparition de variants, se sont développées par réinfection de sujets naturellement immunisés contre la souche d'origine (26). Il est donc nécessaire de se préparer à une possible évasion immunitaire de nouveaux variants.
En conclusion :
Il est possible de conclure sur une note optimiste, en notant les points forts de notre défense contre les variants :
1) La neutralisation in vitro des variants par les antisérums de sujets guéris ou vaccinés montre que les vaccins à ARN confèrent une capacité de neutralisation supérieure à celle de l'infection naturelle, y-compris pour les variants (10, 17, 27-30).
2) La production d'anticorps neutralisants (réponse humorale) est la première réponse adaptative du système immunitaire contre le virus. Les anticorps bloquent les particules virales, les empêchent d'infecter les cellules, et les amènent aux macrophages qui les digèrent. Mais l'élimination du virus de l'organisme est une tâche dévolue à l'immunité cellulaire, en particulier aux lymphocytes T CD8+ cytotoxiques, qui détectent les cellules infectées sources de virus et les tuent (31). L'immunité cellulaire pourrait être suffisante pour éliminer le virus même en l'absence d'anticorps neutralisants (32). Or, les vaccins à ARN suscitent non seulement une puissante réponse humorale, mais aussi une réponse cellulaire substantielle (27).
Les déterminants antigéniques reconnus par les lymphocytes T CD8+ sont différents de ceux reconnus par les anticorps. Ce sont de courts fragments peptidiques prélevés sur la séquence entière de la protéine, et accommodés sur la membrane cellulaire par les antigènes d'histocompatibilité de classe I (33-35). Ils peuvent se situer dans les régions enfouies et peu variables de la protéine, qui sont conservées dans la plupart des variants. L'immunité cellulaire vise donc des cibles beaucoup plus étendues que l'immunité humorale, et peut combattre des variants qui échapperaient à la neutralisation par l'immunité humorale (36).
3) La technologie de l'ARN messager facilite beaucoup l'adaptation des vaccins à l'évolution des pathogènes. Pour adapter un vaccin à de nouveaux variants, il suffit de remplacer une séquence par une autre dans l'ARN de la protéine S, une opération d'ingénierie génétique réalisable en une journée. Ceci fait dire au CEO de BioNTech qu'un nouveau vaccin pourrait être prêt en 6 semaines (37). De plus, différentes stratégies peuvent être envisagées aujourd'hui pour produire un vaccin à large spécificité. Par exemple, on pourrait insérer la séquence de la protéine S de B.1.351, qui suscite une réponse humorale efficace contre tous les variants testés (38, 39).
4) Une alternative à la vaccination classique consiste à induire une immunité cellulaire spécifique. Pour cela, on doit déterminer les épitopes immunodominants des protéines virales reconnus par les cellules T, et préparer un vaccin avec ces peptides. Il a été montré que la vaste majorité des épitopes immunodominants de la protéine S, et donc la réponse des cellules T, ne sont pas modifiées par les mutations des variants actuels (40, 41). C'est ainsi que 33 epitopes restreints par l'antigène de classe I humain HLA-A2 ont été utilisés pour préparer des vaccins "cocktails de peptides", qui ont suscité de fortes réponses spécifiques dans des souris de type sauvage, ou transgéniques HLA-A2/DR1 (42).
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